Publicité et commerce équitable
Article et interview réalisé par Nadia Laden de « EXaequo », Le Journal des Magasins du Monde. Décembre 2010.
Le dilemme
Autocollants "anti-pub" sur la boîte aux lettres, agacement à chaque coupure de film, réaction épidermique aux slogans ringards martelés par le poste de radio : vous aussi vous aimez la publicité ?
Cet outil de manipulation diabolique conçu pour nous pousser à l'hyperconsommation…
D'autre part, quand elle est bien faite, la publicité fascine, elle accroche. Elle peut même devenir culte pour certains, comme en témoigne l'émission Culture pub, devenue un monument culturel des années 90, ou encore les jolies affiches de Steinlen ou Toulouse Lautrec, qui l'élèvent au rang d'œuvre d'art.
Nous avons toutes et tous notre opinion sur le sujet, et pour cause : la publicité envahit notre quotidien et squatte tous les médias, il est difficile d'y échapper...
Mais quand la publicité sert une bonne cause comme le commerce équitable, qu'en est-il ?
Notre méfiance s'estompe t'elle ou au contraire, sommes-nous doublement indigné-e-s ?
Entre rejet de la publicité et nécessité de se faire connaître, comment trouver la bonne manière de communiquer ?
Nous avons donc interrogé Eric Jaffrain qui a une certaine expérience en 30 années de communication publicitaire tant pour le secteur caritatif que commercial. Consultant, enseignant et conférencier, il a créé il y a plus de 10 ans, le concept du marketing non-marchand.
Il nous livre son point de vue, stimulant, riche et parfois surprenant.
Le commerce équitable n'existe pas.
Ex æquo : Vous prônez un marketing basé sur le don et la confiance, pouvez-vous nous en dire plus ?
Eric Jaffrain :
Le marketing non-marchand se concentre sur un objectif et un moyen : L'objectif est de celui de répondre aux besoins du client, plutôt que sur un objectif de profit pour l'entreprise. Et sur un moyen : les 3 dons. Le don de temps, d'argent et le plus important, le don de soi ou dit autrement, le don de confiance. Une perte de confiance équivaut à une perte économique, comme le commentaire bien connu en bourse « la baisse de confiance des investisseurs fait chuter les devises ».
Ce concept s'applique autant dans le secteur commercial ou caritatif que politique, et développe l'économique avec un ROI beaucoup plus important que la moyenne habituelle.
EX : Vous dites que les vendeurs devraient tenir compte des quatre éléments - physiologique, émotionnel, spirituel et social : ne craignez-vous pas que cela soit assimilé à des techniques de persuasion élaborées pour pousser à l'acte d'achat par la mise en confiance et l'utilisation du facteur émotionnel ?
EJ :
Ça le pourrait, mais ce concept est crédible si le vendeur est vrai et ouvre la réciprocité : l'entreprise doit répondre aux besoins du client autant que le client répond aux besoins de l'entreprise. Tant qu'on ne développe pas cette réciprocité, on reste dans un système économique totalitaire : l'entreprise devient un prédateur qui fait tout pour prendre des parts de marché, sans aucun intérêt pour son propre client.
Si les publicitaires ou les marketeurs veulent utiliser ce concept pour manipuler, ils n'y arriveront pas jusqu'au bout parce que cette technique oblige à une sincérité.
Tout ce qui est caché viendra au grand jour tôt ou tard.
Répondre aux besoins de ces quatre éléments, c'est justement ce que fait le commerce équitable ?
Oui tout à fait, mais le problème est que le commerce équitable s'est situé en marge du quotidien du consommateur : on va dans un Magasin du Monde à l'occasion, pour faire sa « B.A. » en quelque sorte pour aider le petit ou le pauvre. Le discours occidental sur la pauvreté, culpabilise les gens, ou joue sur des idéologies religieuses ou politiques. Il développe le concept du "en dehors de", « plus petit que ». On s'occupe du pauvre plutôt que de vouloir supprimer l'esprit de pauvreté.
En ce sens, plus on développera le fond ou le sens du produit, au lieu de s'occuper de son image, plus on arrivera à faire changer les comportements. Commerce équitable sous-entend qu'il existe un commerce non équitable, et il ne faut pas se positionner comme une contre-proposition, mais plutôt comme un concept, une utopie, un nouveau paradigme sur la vente de produits. Même si cet intitulé est juste, il trop marqué idéologiquement.
Les Magasins du Monde communiquent sur le fait que le café qu'ils commercialisent a été produit par des personnes justement rémunérées pour leur travail.
C'est bien, mais il y a une faiblesse stratégique : le nom Magasins du Monde véhicule une image, on se dit "ce sont des humanitaires qui font du commerce, des gentils, ils veulent faire passer leur message". Cette communication est militante, humaniste, voire élitiste. Elle devient manipulatoire au même titre que peut l'être la pub.
Alors admettons que l'on appelle le magasin de commerce équitable "Soleil", il faut tout de même que le consommateur sache quelle est sa stratégie commerciale?
Même pas. Il faut simplement parler de l'intégration sociale du produit. Le commerce n'a pas à être équitable, il est équitable en soi, tout comme le marketing qui est forcément non marchand. La vente est une des transactions dans un marché, mais le don, l'échange, la confiance le sont aussi. La marketing ne se résume pas à la vente, c'est un art relationnel en vue du bien commun, de l'entreprise comme du client.
Et l'agriculture forcément bio ! C'est vrai que c'est le chimique qui est anormal et qu'il devrait être étiqueté en tant que tel !
Bien sûr, vous vous rendez compte de ce qu'on avale depuis des années ! Quand on est face à un concept, une idée comme le commerce équitable ou l'agriculture biologique, qui sont justes, il faut trouver un axe de communication nouveau.
Comme par exemple imaginer un slogan du genre "le commerce équitable n'existe pas, le commerce EST équitable". Une fois les enjeux économiques pris en compte, il faut entrer dans cette autre dimension. Et à ce moment là, la publicité sera mieux perçue puisqu'elle ne reprendra pas les gimmicks du monde commercial classique.
Alors, comment vendre une tomate bio sans dire qu'elle est bio ?
En la décrivant : sans traitement, couleur d'origine, une VRAIE tomate... Il faut parler nature, donner des arguments de vente imparables. Je n'ai pas envie d'être bio, écolo, équitable, chrétien ou communiste : j'ai juste envie d'être bien. Et mes besoins sont réels, alors si je rencontre une offre qui me convient, je prends !
J'ai beaucoup aimé une publicité de sous vêtements avec des femmes rondes, qui ne disait ni ne revendiquait rien : on ne disait pas "fat is beautiful", c'était juste un produit avec des femmes normales. C'est un changement de mentalité. Réformer l'individu n'est possible que si l'individu considère qu'il y a un écho à ses propres besoins par ce qu'il entend ou proposé.
Alors, vous aimez la pub du Mc Do qui dit "venez comme vous êtes" ?
(rires)
Oui, c'est vrai..., mais on sait que c'est Mc Do. Les responsables marketing surfent toujours sur la vague. Comme pour la responsabilité sociale des entreprises : les sociétés sont obligées d'y passer... mais l'objectif est uniquement une question d'image et de profit, on n'entre pas dans une dimension de changement profond de mentalité, on se rachète une bonne conscience, en surface. C'est la communication sur le mensonge.
Aujourd'hui la liberté de mentir est admise et usuelle : où va t'on ? Les dominants financiers n'ont d'autre but que d'alimenter « notre pacte social" et de relever nos revendications. Et plus il y a de revendications, plus les contrevenants sont repérés. Ainsi le positionnement dans un marché est assez facile à trouver. Ce qui est étrange aussi c'est que les poids lourds de l'économie et des finances définissent comme de l'angélisme ou marginal, le concept du beau et du vrai. C'est être un rêveur. C'est oublier que tout ce qui a été construit par l'homme comme beau, bon et vrai à démarré par un rêve.
Vous voulez dire que dénoncer les scandales de l'industrie agro-alimentaire en matière de déforestation, travail des enfants, salaires de misère, ne sert à rien ?
En effet, car c'est une opportunité pour les grosses firmes ! Elles préfèrent détecter leurs ennemis que de ne pas savoir où ils sont. Prenons un exemple : le WWF fait une campagne contre l'huile de palme. Nestlé arrête de l'exploiter et trouve vite autre chose car seul le profit immédiat ou une grosse marge compte pour un industriel. Il sait ce qu'il fait, il attend simplement qu'on le lui dise et cela devient une campagne de RP. Au final leur conscience ne change jamais fondamentalement. C'est une technique de guerre : on n'existe que par nos ennemis identifiés.
Une nouvelle tendance publicitaire consiste à tourner en dérision l'écologie. Encore le conflit ! Un combat de coqs qui ne changera pas les comportements. La mise en dérision est une autre arme de guerre. Il ne faut pas oublier que certaines agences de Pub sont payées par ces grandes entreprises, voir par certains partis politiques, pour ridiculiser l'adversaire. C'est une façon de rendre minoritaires ceux qui parlent vrais. C'est ce qui à été fait en France : la religion laïque contre la religion chrétienne. Pour contrer cette approche, il est parfois utile de faire de l'humour vrai. Par exemple une publicité que vous pourriez afficher : "Roche fabrique ses médicaments : 60% de marge, et un salaire de 40 millions par an, vous trouvez ça équitable ?".
Mais on ne peut pas faire ça, c'est une critique directe et pour le coup, on est en plein combat de coqs !
Ce n'est pas une critique, c'est un révélateur. La logique actuelle de travailler peu pour gagner beaucoup avec des marges énormes est immorale et nous le savons. Mais je crois qu'il est possible de changer. Notre société exprime son ras-le-bol, son mécontentement, mais aussi son besoin d'humanité, de vie sociale solidaire, ou encore de spiritualité. Il y a des portes prêtes à s'ouvrir...
Hélas, les mentalités n'évoluent pas vite car l'humain cherche plus la sécurité que la vérité. L'idée du développement durable est encore très exclusive, touchant essentiellement les femmes et les couches sociales élevées. Et le commerce équitable ne marche que là où il y a PIB florissant, donc surconsommation. Le marché occidental reste dans une stratégie colonialiste, avec une économie darwinienne : le plus gros mange le plus petit.
En cela, la micro finance est une alternative prometteuse. Plutôt que d'inféoder un pays par une économie dominante, la micro finance repère les talents chez « le moins rentable » ayant le statut du pauvre, et lui donne les moyens de les développer lui-même sans être lié par des taux d'intérêt exorbitants. Il y a là une réciprocité. Pour le moment, le commerce équitable ne répond pas à mon propre besoin, mais à celui de la personne bénéficiaire. Il faut faire concorder les deux, ce qui est plus efficace qu'une démarche exclusivement militante.
Il est difficile de sortir de la démarche militante : les Magasins du Monde sont minuscules face aux grandes surfaces, et ces dernières ne vont pas vendre 100% équitable demain. De plus, leurs critères d'équité sont en général moins poussés que ceux des Magasins du Monde et de leurs partenaires...
C'est ce qu'il faut justement mettre en avant ! et parler de son « plus produit ». Et former son personnel, comme des vendeurs de cause socio-économique.
Des magasins 100% équitables, n'est pas une vue angélique mais une offre nouvelle pour des consommateurs en quête de sens et d'authenticité. L'économie est malade, il y a urgence de faire en sorte que tous les produits soient équitables, bio et de proximité. La croissance n'est pas liée à la performance économique ou financière, mais à l'intelligence, à la créativité, à l'innovation pour le bien de l'humain.
Les techniques marketing sont coûteuses. Peut-on faire une bonne campagne sans moyens ?
Bien sûr. L'usage des réseaux par exemple, est très utile pour communiquer une idée. Des ventes du style Tupperware peuvent convenir parfaitement : lien social, proximité, qualité, service. Le web n'est pas très cher non plus, il ne faut pas hésiter à utiliser l'Email. Et il y a le culot ! Réagir sur l'actualité dans les médias, par exemple à une information sur la crise économique, s'exprimer à la radio, sur les blogs pour apporter des forces de propositions sans être en guerre contre tout.
Avec la multiplication des labels, le Greenwashing, la publicité mensongère, on a du mal à savoir en qui avoir confiance...
Tout à fait ! La crise de confiance est la plus grave crise du monde actuel. Les labels ne sont malheureusement pas proposés ou recherchés pour que l'entreprise soit plus proche de ceux qui cherchent un produit ou une idée, mais par contrainte. Une entreprise veut éviter à tout prix une mauvaise image tout en conservant ses profits. Le fait que le Greenwashing soit géré par le service commercial en dit long…
La confiance se construit par la vérité, la transparence, le don et la réciprocité pour le bien commun et non pour le profit privé. C'est pour cela je crois que l'équité doit être un des fondements de l'économie.